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C0mm0d0r3C0mm4nd0 — Petite histoire
Published: 2004-08-13 21:35:33 +0000 UTC; Views: 83; Favourites: 0; Downloads: 5
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Description Il me semble avoir déjà lu quelque part que les papillons-collecteurs, bien qu'ils migrent vers le sud en groupe, n'aiment pas être en présence des leurs: c'est pourquoi il peut vous arriver de vous retrouver au beau milieu d'un champs de cadavres multicoloré.

Il me semble aussi avoir déjà vu à la télé que les ours polaires, lorsqu'ils passent trop de temps ensemble, se noient ensemble en se lançant l'un après l'autre à la mer.

Dans l'océan pacifique, on m'a déjà dit qu'il arrive que plusieurs poulpes entremêlent leurs tentacules de façon à ce qu'ils ne puissent plus se séparer. Cependant, ce n'est aucunement preuve d'amour puisque chacun tire de son côté jusqu'à ce que les tentacules se brisent et se perdent dans l'abîme et ainsi mourir après quelques minutes se perdant eux aussi dans les profondeurs.

Je ne sais pas quoi conclure de ces étranges phénomènes. De tout temps, les êtres vivants ont vécu en couple et en groupe afin de survivre: ils vivent d'amour et d'amitié, partageant tout avec le groupe ou étant prêts à tout sacrifier pour l'être cher.

Comme nous le savons tous, les hommes et les femmes n'ont pas échappé à cet instinct, celui d'aimer et être aimé(e). Cependant, comment la vie a-t-elle pu arriver au point où ses cellules s'entretuent?

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J'ai connu l'amour. Oui oui, je l'ai rencontré. Elle s'appelle Rose ou plutôt, elle s'appelait. Détail. Elle est un jour arrivé dans ma vie par un jour pluvieux de fin d'avril, vous savez quand le ciel est d'un gris clair, recouvert de nuages qui laissent tomber de fines goutelettes d'eau qui viennent vous chatouiller la nuque au contact de votre peau. C'était le vingt-neuf, je crois. C'est dans ces conditions que je marchais dans le Vieux Montréal, dans un dédale de rues que je descendaient sans trop savoir où aller. Je me demandais à tout moment comment j'avais bien pu en arriver là puisque j'avais tout perdu, ou presque.

En fait, tout ce que le huissier m'a laissé est une table, deux chaises, deux assiettes, un verre et une fourchette; j'ai dû me confectionner un oreiller avec des pages de journaux et une couverture avec quelques sacs de plastique. Merci Mme. Létourneau.

C'est donc en dévalant les rues du Vieux Montréal et en me faisant chatouiller la nuque par la pluie que Rose est apparue dans mes bras quand je m'apprêtais à tourner le coin. Je ne sais pas trop comment elle a fait, ça importe très peu malgré tout, mais elle a trébuché sur une brique qui dormait tranquillement sur le trottoir (par-contre, ce qu'elle ne sait pas et que vous ne devriez pas lui dire, c'est que j'ai aperçu deux jeunes garçons qui riaient dissimulés derrière une voiture garée non loin, fiers de leur coup).

Lorsque je l'ai attrapée, je l'ai prise par la main et l'ai emmenée avec moi, sans qu'elle sache où cette escapade la mènerait.

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Pendant vingt-sept années, quatre-vingt-trois jours, quinze heures, douze minutes et six secondes, je me suis toujours dit qu'au moment où une femme me tomberait dans les bras, je devrais m'en tenir loin. Encore une fois, je ne sais toujours pas pourquoi il faut toujours qu'on s'embarque dans les aventures dont on ne devrait pas. Enfin, cela ne peut faire de mal à personne, ou presque.

Ce jour-là, je dois admettre que je n'aurais jamais dû tomber amoureux, je n'aurais même pas dû m'intéresser à elle du fait qu'elle avait dix-neuf ans, ce qui est beaucoup trop jeune pour moi, et qu'elle portait des vêtements qui avaient tout pour me répugner et m'éloigner d'elle: elle portait un grand manteau de bûcheron rouge carrelé, beaucoup trop grand pour elle d'ailleurs, qu'elle avait soigneusement laissé ouvert pour faire apparaître les loups sur son chandail. Heureusement, les courbes de son corps furent très convaincants cet après-midi là et son âge ne transparut aucunement dans la sagesse de ses paroles (de plus, elle revenait d'une répétition de théâtre, ce qui expliquait son apparence).

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Depuis sa rencontre, des années se sont écoulées, six je crois. Mon mobilier s'est beaucoup agrandi et mon lit est d'autant plus confortable: j'ai toujours la même table avec quatre chaises, vingt-quatre assiettes (je suis même prêt à vous en donner douze si vous voulez), quatorze verres dont dix ayant appartenus à Pierre-Elliott Trudeau (ce sont des verres éparpillés un peu partout dans l'appartement qui servent de crachoir), j'ai encore la même fourchette plus un restant de trente-sept couples de fourchettes et de couteaux en plastique. J'ai aussi dans mon lit une jeune femme à la peau douce qui me réchauffe lors des nuits froides.

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Il me semble avoir déjà lu quelque part que les papillons-collecteurs, bien qu'ils migrent vers le sud en groupe, n'aiment pas être en présence des leurs: c'est pourquoi il peut vous arriver de vous retrouver au beau milieu d'un champs de cadavres multicoloré.

Il me semble aussi avoir déjà vu à la télé que les ours polaires, lorsqu'ils passent trop de temps ensemble, se noient ensemble en se lançant l'un après l'autre à la mer.

Dans l'océan pacifique, on m'a déjà dit qu'il arrive que plusieurs poulpes entremêlent leurs tentacules de façon à ce qu'ils ne puissent plus se séparer. Cependant, ce n'est aucunement preuve d'amour puisque chacun tire de son côté jusqu'à ce que les tentacules se brisent et se perdent dans l'abîme et ainsi mourir après quelques minutes se perdant eux aussi dans les profondeurs.

En six ans, Rose et moi nous sommes soudés l'un à l'autre à coups de caresses et de «Je t'aime». Nous avons bravé jours noirs et sombres comme nous avons pris un plaisir fou à vivre les plus beaux de nos vies. J'ose maintenant le dire, je suis heureux. Je veux que le moment présent ne cesse jamais.

Je l'ai étranglée pendant son sommeil, ce fut une belle mort. J'ai étendu son corps sur la table et lui ai fait l'amour une dernière fois. Pour l'occasion, j'ai refait la décoration de la salle à manger. J'ai usé les dents de trente-et-un couteaux de plastique pour couper ses membres et les ai entreposés sur les quatre chaises. J'ai utilisé les cinq couteaux restants pour lui ouvrir le ventre et le thorax. Avec les trente-sept fourchettes, j'ai écarté les os pour prendre le foetus de notre enfant que j'ai installé confortablement dans un verre «Canada» ayant appartenu à un ex-premier ministre fédéral et j'ai couché son coeur tout près du mien pendant que je m'ouvrais les veines de l'avant-bras gauche avec le trente-septième couteau de plastique.

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Moi aussi, j'ai eu une belle mort. Et maintenant, j'ai compris.
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